Fecha: 05 de noviembre de 2013
Fuente: Le Monde
Le trafic de cocaïne se porte bien. La saisie record de 1,3 tonne, le 11 septembre à Roissy, l’a rappelé. Les 31 valises remplies à ras bord de poudre blanche ont fait le voyage sur le vol Air France en provenance de Caracas. Le Venezuela s’est retrouvé sur la sellette mais la cocaïne provenait de Colombie. « Les narcotrafiquants ne reculent devant rien, résume le commissaire de police Zueras, en poste à Bogota. Aucun pays d’Amérique latine n’échappe aujourd’hui à la mafia et à son pouvoir corrupteur.
L’actualité suffit à s’en convaincre. Vendredi 4 octobre, la police équatorienne saisit 3 tonnes de cocaïne sur son littoral, prêtes à traverser le Pacifique. Le 5, une demi-tonne est trouvée au fond d’un camion-citerne sur la côte caraïbe colombienne. Le 11, une tonne et demie est saisie dans le port de Piura au Pérou. Plus de 90 % des saisies de cocaïne se font sur le continent américain.
Selon les derniers chiffres de l’ONU, le Pérou est aujourd’hui le premier producteur de feuille de coca et de chlorhydrate de cocaïne. Il a ravi la place à la Colombie, qui ne serait plus qu’au troisième rang, derrière la Bolivie. Toujours selon les Nations unies, cette même Bolivie fournit désormais plus de la moitié de la cocaïne consommée au Brésil. Avec 900 000 usagers estimés (pour près de 200 millions d’habitants), le géant latino-américain est devenu le deuxième consommateur mondial, après les Etats-Unis. C’est dire si la géopolitique de la cocaïne est mouvante.
Fuente: Le Monde
Fuente: Le Monde
Ainsi, on croyait en plein essor la « route africaine » qui fait transiter la drogue venue des Andes par les pays d’Afrique de l’Ouest. Mais les saisies y stagnent. Le conflit au Mali aurait contraint les organisations mafieuses à changer de chemin. Fin 2012, c’est à Anvers que la police belge trouvait 8 tonnes de cocaïne à bord d’un paquebot parti du port de Guayaquil, en Equateur.
La consommation reste néanmoins stable en Europe occidentale et diminue aux Etats-Unis. Les marchés latino-américain, asiatique et africain, ainsi que celui d’Europe de l’Est sont, eux, en pleine expansion. « Depuis un quart de siècle, la géopolitique de la cocaïne tendait à opposer les pays producteurs du Sud et les riches pays du Nord, consommateurs. Dans un avenir proche, le problème pourrait bien devenir un problème Sud-Sud », prédit le Péruvien Ricardo Soberon, ancien « tsar antidrogue » dans son pays, et actuel directeur du Centre de recherche drogues et droits de l’homme à Lima.
A quel prix évaluer une saisie de cocaïne ? Un kilo de poudre très pure vaut entre 800 et 2 000 dollars quand il sort du « laboratoire » dans les Andes, 6 000 quand il arrive à son port d’embarquement, 10 000 en Amérique centrale, 30 000 dans les rues de New York, le double à Paris. A ce stade, la poudre, largement coupée d’autres substances, n’est plus pure du tout.
« En matière d’économie illicite, tous les chiffres doivent être pris avec des pincettes », insiste le commissaire Zueras. La production, les circuits et les marchés de la drogue sont en constante mutation. Pour identifier les réseaux et les routes, les saisies et les arrestations sont les seuls éléments objectifs dont dispose la police. Elles ne donnent de la réalité qu’une image partielle.
La politique vient encore compliquer les choses. « Les Etats-Unis, qui ont apporté quelque 7 milliards de dollars d’aide militaire à la Colombie dans le cadre de la lutte contre la drogue, veulent convaincre que la politique d’éradication dans ce pays a été un succès », affirme M. Soberon. Le Venezuela et la Bolivie qui, au nom de la souveraineté nationale, ont envoyé balader la Drug Enforcement Administration (DEA), se retrouvent, eux, sur la liste noire de Washington. « Pourtant leur stratégie de lutte contre la drogue, axée sur la répression, n’a pas changé et leurs résultats restent tout à fait comparables à ceux des pays voisins », souligne le Péruvien.
Le Venezuela se targue de ne pas cultiver de coca, qui ne ferait que transiter dans le pays. Mais l’opposition n’est plus la seule à s’inquiéter des complicités dont bénéficient les narcotrafiquants au sein de l’armée et de la garde nationale. « On dirait que la mafia a pris le contrôle de la république bolivarienne du Venezuela », écrit un internaute exaspéré sur le très « chaviste » site Web Aporrea. L’expression « cartel des soleils » (en allusion à l’insigne que portent les gradés sur leur uniforme de gala) date de 1993. Le problème n’est donc pas nouveau.
Il n’est pas pire qu’ailleurs, selon Marcos Alvar, qui dirige depuis deux ans un gros projet de coopération policière entre l’Union européenne et Ameripol, un organisme créé en 2007 qui a vocation à devenir l’équivalent local d’Europol. « Nous avons établi avec les autorités vénézuéliennes une coopération absolument remarquable, assure-t-il. Elle nous a permis de démanteler en août un gros réseau de transporteurs et de mettre sous les verrous l’Anglais Brian Colin Charrington, un des dix narcotrafiquants les plus recherchés en Europe. » Brian Colin Charrington avait l’habitude de raconter ses exploits mafieux sur Internet.
La police colombienne se félicite elle aussi des résultats de la coopération avec le Venezuela. En juillet, Caracas livrait à Bogota Diego Perez, alias Diego Rastrojo, arrêté le 3 juin dans le département du Barinas. A la tête de la bande criminelle des Rastrojos, l’homme était l’un des narcotrafiquants les plus recherchés. « En matière de corruption, la Colombie n’a guère de leçons à donner », ironise un haut fonctionnaire de la direction antinarcotique colombienne. Extradé aux Etats-Unis, le général Mauricio Santoyo, ex-chef de sécurité du président Alvaro Uribe (2002-2010), y purge une peine de treize ans de prison pour complicité avec les groupes narcoterroristes.
Pourtant, selon les derniers chiffres publiés par l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC), il y avait au 31 décembre 2012 en Colombie 48 000 hectares de champs de coca, soit 25 % de moins qu’un an plus tôt. « C’est une réduction spectaculaire, résume Bo Mathiasen, représentant en Colombie de l’ONUDC. Mais le résultat reste fragile. » Il rappelle qu’au cours de cette même année 2012, 130 000 hectares de coca ont été éliminés : 100 000 par aspersion aérienne d’herbicide (la Colombie est le seul pays qui autorise cette technique et l’usage du glyphosate, produit par l’entreprise Monsanto) et 30 000 par arrachage manuel.
Certes, la superficie de culture de coca a diminué de moitié en dix ans, passant de 100 000 à 48 000 hectares. Mais, dans le même temps, 1,3 million d’hectares d’autres cultures ont été empoisonnés au glyphosate. On comprend que les écologistes s’inquiètent. Et que la question de l’efficacité de la politique antidrogue se pose.
D’autant que le Pérou et la Bolivie ont, eux, augmenté leur production. Les spécialistes parlent d’« effet ballon » : si la pression s’intensifie d’un côté, le ballon enfle de l’autre. « C’est dire que le grand succès du plan Colombie est d’avoirrepoussé les cultures de coca vers le Pérou et la Bolivie », résume M. Soberon.
D’après lui, « le nombre d’hectares plantés de coca est désormais un indicateur insuffisant de la production de chlorhydrate de cocaïne. Et le nombre d’hectares éradiqués, un indicateur insuffisant de l’efficacité de la lutte antidrogue ». Les rendements ont augmenté et, dans certaines régions, les « cocaculteurs » font jusqu’à six récoltes par an. La productivité aussi progresse : les procédés de raffinage permettent de tirer plus de cocaïne de chaque feuille de coca. Mais les paysans restent, eux, toujours aussi pauvres. « Faute d’une vraie politique de développement rural et d’une diminution de la consommation, la substitution des cultures reste un objectif difficile à atteindre », rappelle M. Mathiasen.
Les narcos sont créatifs. Le 30 août, la police colombienne saisissait une tonne de cocaïne, emballée dans 11 500 citrons verts soigneusement évidés et reconstitués. Du travail d’artiste. Quinze jours plus tard, une jeune Canadienne de 28 ans enceinte était arrêtée à l’aéroport El Dorado de Bogota. La police trouvait deux kilos de cocaïne dans son faux gros ventre en latex. En décembre, c’est dans les implants mammaires d’une femme que la police dénichait de la cocaïne. Au total, 238 « mules » ont été arrêtées depuis le début de l’année en Colombie, dont 98 étrangers.
Mais les mules ne sont que les gagne-petit de ce phénoménal trafic. « Le gros défi aujourd’hui sont les conteneurs maritimes qui permettent aux narcotrafiquants d’envoyer de la drogue partout dans le monde, rapidement et à moindre risque », dit un récent rapport d’Ameripol, intitulé « Analyse situationnelle du narcotrafic, une approche policière ». La globalisation sert les intérêts de tous les trafics. Et complique la tâche de la police.
D’autant plus que, depuis la disparition des grands cartels colombiens celui de Medellin et celui de Cali, éliminés dans les années 1990 , le narcotrafic est de plus en plus fragmenté. La mafia a segmenté ses activités. « Elle n’en est que plus difficile à infiltrer », explique Marcos Alvar, directeur d’Ameripol. Si les organisations mexicaines ont largement pris le contrôle de l’intermédiation entre les producteurs andins et les Etats-Unis, le marché européen reste, lui, plus compétitif. Les Colombiens continuent de dominer les grands réseaux internationaux.
« Le trafic de drogue obéit à la loi physique qui veut que rien ne se crée et rien ne meurt, tout se transforme », insiste M. Alvar. « Les narcos sont de remarquables chefs d’entreprises, ironise un de ses collègues colombiens. Leur talent pour l’innovation et l’anticipation n’a pas d’égal, ils devraient être invités dans toutes les écoles de commerce du monde. » Plus sérieusement, le rapport d’Ameripol appelle de ses voeux une coopération renforcée entre les Etats. « A problème global, réponse globale », tous les policiers l’approuvent. Les responsables politiques commencent doucement à reconnaître que la lutte contre le trafic de drogue, telle qu’elle est conçue aujourd’hui, est un échec. Mais ni les uns ni les autres n’ont encore d’alternative.